ABBOUNA BOULOS (1)
Vous m'aviez fait cadeau sur un plateau d'argent,
Dans votre langue arabe, en superbe hyperbole,
D'un surnom très flatteur pour mes dons de parole,
Me comparant un jour à l'Aigle de Saint Jean…
Mais non! Brave Abbouna, car celui qui s'élève(2)
Prend le risque souvent d'être aussi rabaissé,
Nous avait dit Jésus dont je me sens l'élève,
Et votre belle image il faut vous la laisser.
Je préfère rester dans l'ombre de l'éclipse
Plutôt que dans l'éclair de notre Apocalypse.
Si je vous dis merci, c'est que j'ai des remords
De vous voir délaissé dans le soleil des morts.
Je vous avais juré, au pied d'une falaise,
De ne jamais quitter la terre
libanaise,
La main sur votre canne au pommeau argenté,
Signe respectueux de votre autorité,
Et j'ai chassé bien loin mon
rêve nostalgique
D'aller revoir un jour ma
brumeuse Armorique.
Rappelez-vous aussi ce bel après-midi,
Quand Charbel traduisait ce que vous m'avez dit,
Réfutant mes raisons de repartir en France,
Dont je ventais le charme en notes de romance:
Les fleurs, les fruits, le miel, les oiseaux, la saveur
Du baiser de l'amante à l'étrange douceur,
Et vous me consoliez, me disant en sourdine:
"Le Liban t'offrira celle qu'il te destine,
"Assise sous le Cèdre, auprès de Bécharré,
"Au parfum de l'encens du haut-lieu consacré…"
Abbouna, Abbouna, j'ai cru dans tes paroles
Que tu me prodiguais en belles hyperboles,
Et je baise, pieux, ton pommeau en argent,
Pour ressembler un peu à "l'aigle de Saint Jean".
Yves Cariou -
(1) Abbouna: nom donné au Liban aux curés de village.
Abbouna Boulos: Au Révérend Père Paul
(2) Mt- (XXIII, 12).
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